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Passionné d'aventures en montagne depuis mon plus jeune âge, je vous propose de découvrir ce site internet dédié à mes périples en altitude. Vous y trouverez les récits, photos, et vidéos de toutes les ascensions que j'ai réalisées à ce jour dans le monde entier.

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ACONCAGUA (6962 m) - Versant ouest
Février 2010 - Hautes Andes, Argentine

L'Aconcagua est le point culminant du continent américain avec 6962 mètres d'altitude. Il est situé dans la grande cordillère des Andes, en Argentine, dans la province de Mendoza. Le sommet se trouve à seulement 15 kilomètres de la frontière chilienne. L'Aconcagua est le plus haut sommet de l'hémisphère sud, et il fait partie de la prestigieuse liste des "Seven Summits", ce qui attire chaque année de nombreux alpinistes venant du monde entier. L'origine du nom "Aconcagua" prête à confusion : cela pourrait venir de l'Araucan "Aconca-Hue", ce qui peut être traduit par "qui vient de l'autre côté", ou bien du Quechua "Ackon Cahuak", qui signifie "Sentinelle de Pierre".

L'Aconcagua est bordé par les vallées de las Vacas et de Horcones. Il domine un vaste parc provincial protégeant des espèces animales typiques de la cordillère, en particulier le condor, ainsi qu'une végétation rare et fragile. En effet le climat est aride et la couverture neigeuse ténue. Le plus grand de ces glaciers est l'Horcones Inferior qui s'étend sur environ 10 kilomètres, allant du pied de la célèbre face sud (la plus haute paroi des Andes) jusqu'aux abords du camp de Confluencia. Mais le plus connu reste le glacier des Polonais, par où passe un itinéraire d'ascension. Quant à la voie normale, elle se déroule en versant ouest et ne comporte pas de véritables difficultés sur le plan technique.

Les quelques formalités remplies auprès des gardes du Parque Aconcagua, nous nous lançons dans l’aventure. La motivation est grande, l’émotion aussi, pour notre première expédition. A vrai dire cela fait huit mois que nous attendons ce moment, nous avons investi beaucoup de temps et d’argent dans ce projet.
Jour 1 : Montée à Confluencia
Récit de l'expédition
En pénétrant dans la vallée de Horcones nous éprouvons donc une véritable excitation. Une certaine appréhension également, et pour cause, Henri n’a jamais dépassé les 3200 mètres d'altitude. Et moi, guère plus... Difficile donc de connaître l’issue de cette expédition. Nous avons pas mal de temps devant nous, nous sommes bien équipés, mais il reste une grande inconnue : comment nos organismes vont-ils réagir à la très haute altitude ?

Nous partons chargés comme des mules, de quoi tenir pendant 18 jours. Sur notre gauche la "laguna", entourée de pelouses verdoyantes où se reposent quelques touristes de passage, est le dernier coin de verdure avant de pénétrer dans l’univers asséché de la vallée. Le sentier franchit les eaux tumultueuses du rio Horcones grâce à un pont suspendu et rejoint sa rive gauche. Le tracé s’élève ensuite à flanc, sur des pentes poussiéreuses. Vers 3400 mètres c’est l’arrivée au premier camp, Confluencia. Nous y plantons notre petite tente, au milieu des grands abris confortables des agences commerciales.
En route vers Confluencia
Galerie photos

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Aujourd’hui notre objectif est d’aller voir la face sud de l’Aconcagua. L’intérêt est double : découvrir la plus grande paroi des Andes, et commencer notre phase d’acclimatation. Nous nous détournons donc de la vallée de Horcones et pénétrons au nord dans une autre vallée dont on ne peut dire qu’elle est "secondaire" tant ses dimensions sont gigantesques. Le sentier remonte tranquillement des moraines. Cette vallée effectue un coude et c’est donc petit à petit que la face sud se dévoile, au fur et à mesure que nous avançons. La distance est plus longue qu’il n’y paraît mais nous progressons vite car le terrain est dégagé.

En l’espace de 3 heures nous atteignons Plaza Francia, un replat situé au pied de la face. C’est ici qu’a été installé, en 1954, le camp de base de l’expédition française (menée par Paragot et Bérardini) qui réalisa la première ascension de la face sud. Nous nous offrons 2 heures de sieste, pour rester un peu en altitude et pour scruter cette immense paroi haute de près de 3000 mètres. A vrai dire nous sommes véritablement écrasés par ce mur, et on ne se rend pas bien compte de ses dimensions.

Il est temps de repartir. Nous revenons tranquillement par le même chemin jusqu'à notre campement à Confluencia. En fin d’après-midi nous effectuons notre premier checking médical (obligatoire et apprécié) dans la petite baraque des gardes. Le test d’oxygénation du sang s’avère mauvais pour moi : 84% (au lieu des 85% requis). Je me frotte les mains pour les réchauffer, et nous recommençons l’opération. Résultat : 92% ! C’est bon !
Jour 2 : Au pied du Colosse
Nous le savons à l’avance : ce sera la journée la plus pénible de toutes. 25 kilomètres d’approche pour rejoindre le grand camp de base niché au fond de la vallée de Horcones. Lourdement chargés, nous parcourons de grandes étendues de poussière. Des caravanes de mules, acheminant nourriture et matériel au camp de base, nous doublent dans un nuage de fumée. Les lignes droites succèdent aux lignes droites. Sur notre gauche s’élèvent des montagnes désertiques, rarement gravies j’imagine, culminant aux alentours de 5000 mètres. Sur notre droite l’Aconcagua, dont nous faisons le tour en passant par l’ouest, avec ses contreforts gigantesques.

3700 mètres... Enfin le tracé prend de l’altitude. La progression est épuisante mais en avançant par petites étapes et en faisant des pauses fréquentes nous arrivons en vue du camp. Un ultime raidillon situé à 4000 mètres nous achève littéralement, et nous atteignons Plaza de Mulas "sur les genoux". Le camp est immense. Il y a bien une centaine de tentes. C’est d'ailleurs le second plus grand camp de base du monde après celui de l’Everest.

Nous nous installons dans la partie basse, là où sont regroupés les "autonomes", à savoir ceux qui ne passent pas par le biais d’une agence, et ils ne sont pas nombreux ! Peu de confort pour nous, mais un budget divisé par 2 et la satisfaction, en cas de succès, d’avoir gravi l’Aconcagua par nos propres moyens.
Jour 3 : Marche d'approche vers Plaza de Mulas
Cerro Cuerno
Jour 4 : Repos au camp de base
La nuit fut dure. La faute à ces jeunes locaux, travaillant pour les agences commerciales, qui écoutent de la musique techno jusqu’à 2h du matin... Toute la nuit je me suis maudit de n'avoir pas emmené des boules quiès !

Aujourd’hui, repos. La journée d’hier fut exténuante. Il nous faut donc récupérer. Et de plus notre organisme s’acclimate, tranquillement, à 4360 mètres. Pour occuper l’après-midi nous rejoignons en 15 minutes le refuge Plaza de Mulas, situé à l’écart du camp. Il s’agit d’une immense bâtisse où nous profitons d’une connexion internet pour donner quelques nouvelles à nos proches. Le refuge est gardé par une équipe de jeunes, mais visiblement il y a très peu de clients ici. Il faut dire que les tarifs sont dissuasifs ! Retour à notre campement, puis errance à travers la profusion de tentes du camp de base. S'en suit une soirée pour le moins ennivrante grâce aux lumières rougeoyantes qui enflamment les murailles occidentales de l’Aconcagua.
Conformément au programme que nous avions fixé nous partons en direction du Cerro Bonete, un petit sommet situé à l’ouest du camp. C’est une montagne peu esthétique, un amas d’éboulis pourrait-on dire, mais c’est un objectif idéal pour notre phase d’acclimatation.
Jour 5 : Acclimatation au Cerro Bonete (5034 m)
Sous le final rocheux du Cerro Bonete
Nous passons devant le refuge Plaza de Mulas et poursuivons dans les pentes rocheuses. A 4500 mètres nous découvrons les pénitents, ces étranges lames de glace qui se forment au vent. Etonnant contraste entre ces champs de glace et les éboulis arides. Nous poursuivons notre effort sur de grandes pentes rocailleuses. A 4900 mètres nous arrivons au pied de la pyramide finale. Le rocher est mauvais. Rien ne tient en place. Henri, fringant jusque là, a un gros coup de barre. Un étonnant blocage, alors que quelques minutes auparavant il gambadait en tête. Je le laisse derrière moi, en lui disant de manger un morceau et de finir à son rythme.

Je poursuis donc seul. Le tracé traverse des pentes instables, remonte un couloir d’éboulis, puis rejoint une ligne de crête. Le sommet est tout proche. Nous ne reviendrons pas bredouilles de notre expé, il y aura au moins ce modeste Cerro Bonete (5034 m) à mettre à notre actif...

Je m’installe et grignote au sommet. Les minutes passent et je profite de la vue sur l’Aconcagua qui nous fait face. Tout l’itinéraire de la voie normale est bien visible. Je peux étudier tout ce parcours et je m’y imagine déjà. J’ai vraiment hâte d’en découdre avec ce géant des Andes. Henri me rejoint, 30 minutes plus tard. Il semble que son organisme aie coincé à cette altitude. J’espère que cela ira mieux dans les jours qui viennent.
Retour rapide vers le camp de base, presque en courant dans les éboulis roulants. J’en profite pour faire un léger détour vers un étang couleur émeraude, un véritable petit joyau perdu au milieu des éboulis. L’occasion de prendre quelques beaux clichés. Au camp, nous effectuons notre second checking médical. C’est tout bon !
Gros portage au programme. Nous plions toutes nos affaires et commençons la grande montée en éboulis qui conduit au principal camp supérieur. Devant l’ampleur de la tâche nous choisissons d’adopter un rythme très lent mais régulier. Après tout nous avons la journée entière pour surmonter ces 1200 mètres de caillasse. Le sac est plus lourd que jamais. Les épaules sont douloureuses, le souffle est court.

A 5000 mètres nous passons à côté de Camp Canada, un petit camp intermédiaire peu utilisé. Le cadre est sublime, mais nous l’apprécions difficilement car la montée est un calvaire. 5300 mètres, la pente se radoucit enfin. Nous passons sur un grand névé. Nous croisons parfois des alpinistes à la mine déconfite. Summiter ? Non-summiter ? Difficile à dire, car tous ont l’air exténués.

Nido de Condores, 5500 mètres environ. Nous nous installons, sans oublier bien sûr de lester la tente de dizaines de pierres. Car ici, sur la ligne de crête, on est exposé à des vents démentiels. Le "viento blanco" fait des ravages et a tué de nombreuses fois sur ces pentes. Mieux vaut prendre de bonnes précautions.
Jour 6 : Montée au Nido de Condores
Loin au nord on aperçoit une montagne énorme : c’est le Mercedario qui culmine à 6720 mètres. Je ne connaissais pas son existence, malgré le fait qu'elle soit le 8ème plus haut sommet des Andes. Le soleil descend sur l’horizon. Le drapeau argentin, à moitié déchiré par les tempêtes, flotte au-dessus du camp. Quelle soirée incroyable ! Ce coucher de soleil au Nido, je l’ai tellement vu en photo, tellement imaginé, que j’ai du mal à croire que je le vis à mon tour. Une fois que le soleil a disparu, l’obscurité s’empare des lieux, et la température chute de manière vertigineuse. Dans le duvet, vite !
Au Nido de Condores, grand camp d'altitude
Jour 7 : Acclimatation à 6000 mètres
Nous avons opté pour une stratégie audacieuse : tenter le sommet directement depuis le Nido, soit 1500 mètres de montée. Dans les Alpes ce dénivelé ne nous poserait guère de problème, mais là, entre 5500 et 7000 mètres d’altitude, il y a un écart que notre organisme ne pourra pas supporter ! Il faut nous acclimater davantage. Pour aujourd’hui nous nous contenterons donc de nous reposer le matin, puis de monter un peu dans l’après-midi. Cela nous permettra également de repérer le terrain en vue de notre assaut final, prévu dès le lendemain.
Nous nous élevons au-dessus du Nido grâce à un bon sentier, jusqu’à camp Berlin à 5850 mètres, où se trouvent de petites baraques en bois où il est possible de bivouaquer. Nous poursuivons un peu plus haut, notre objectif du jour étant de franchir la barre des 6000 mètres. Nous l’atteignons et restons à cette altitude un moment, mais le fait d’être immobile nous refroidit considérablement, et nous ne tardons pas à redescendre.
Jour 8 : Ascension de l'Aconcagua (6962 m)
Je n’ai pas trouvé le sommeil. Est-ce à cause du froid, du vent, ou tout simplement de l’anxiété ? Toujours est-il que voilà, le grand jour est arrivé. C’est aujourd’hui que tout doit se jouer. C’est aujourd’hui que tous nos efforts seront, ou ne seront pas, récompensés. Il est 4h. Nous enfilons notre équipement et partons dans l’obscurité, en prenant soin de n’avoir rien oublié. Il fait grand beau, les étoiles scintillent au-dessus de nos têtes. Nous progressons rapidement à la frontale, puisque nous connaissons déjà le chemin, et nous voilà à camp Berlin. Plusieurs équipes ayant dormi ici se lancent à l’assaut elles aussi. Tout se déroule à merveille, la forme est là. Le jour commence à se lever. L’ombre de l’Aconcagua s’étend à l’ouest, vers le Chili et l’océan Pacifique, sur une centaine de kilomètres. Le soleil vient frapper les grands sommets de la Cordillère des Andes. Superbe ! C’est à partir de 6000 mètres que les choses deviennent plus compliquées. Nous commençons à ressentir les effets de l’altitude, nos pas deviennent plus lourds et plus coûteux en énergie.

Independencia, à 6300 mètres, est le dernier camp. Nous y faisons une pause à l’abri d’un rocher et, à ce moment-là, je dois dire que l’abandon nous guette. Nous sommes déjà épuisés, et le sommet est encore très loin. Dans la pente précédente je n’avançais presque plus. Henri est visiblement en meilleure forme que moi, mais lui aussi est dubitatif quant à nos chances de réussite. Nous poursuivons malgré tout. Une petite pente conduit sur une ligne de crête, que nous traversons pour nous retrouver de l’autre côté, dans le grand versant nord-ouest. Ensuite le tracé s’élève à flanc d’éboulis, en effectuant une grande diagonale. Nous nous y engageons. Après quelques minutes je lève les yeux : Henri est déjà loin devant, il garde un bon rythme. Mais comment fait-il ? Quant à moi j’avance tant bien que mal. A partir de ce moment je n'aurai plus besoin de faire le vide dans ma tête, il se fera tout seul. Henri a ralenti, il m’attend, et nous arrivons ensemble au pied de la Canaleta, à 6700 mètres.
Dans la montée vers Independencia
La Canaleta... L’obstacle final de l’Aconcagua. Un couloir d’éboulis et de neige, incliné à 35°, haut d’environ 200 mètres. L’effort sera terriblement rude à cette altitude, je le sais. Nous mangeons un morceau. Je décide de laisser mon sac ici pour me faciliter la tâche. Je place soigneusement mon appareil photo dans ma doudoune pour immortaliser les moments à venir. Et c’est parti ! Nous attaquons le couloir. Le sentier est recouvert de glace. Les crampons mordent à merveille. Ce dont nous ne nous étions pas aperçus, c’est que le ciel s’est brusquement couvert. Le sommet semble empêtré dans un nuage. Le cadre est devenu des plus inhospitaliers. Drôle d’ambiance. D’autres candidats au sommet sont, comme nous, en pleine bataille contre eux-mêmes. Certains semblent à la dérive. Je ne dois guère être mieux. Chaque pas en avant me demande un grand effort, et pourtant je continue, tel un zombie. Ma conscience s’est évanouie, je n’ai aucun retour sur moi-même ou sur l’endroit où je me trouve. Il me reste peu de forces. Je profite d’un rocher pour m’appuyer et souffler quelques secondes. J’ai du mal à en repartir. Un alpiniste me double et me demande si ça va, je réponds "oui" de suite, comme pour me persuader que je vais bien. Mes pensées s’égarent. J’ai le cerveau d’un enfant de 5 ans. Mon altimètre a lui aussi perdu la boule. Mais désormais, je le sais, plus rien ne peut m’empêcher d’aller en haut. Depuis un bon moment j’ai dépassé ce point de "non-retour", ce point où la prudence et la sagesse s’évaporent, ce point où on est tellement proche de son rêve que l’on décide d’aller au bout coûte que coûte, au mépris des risques. Dans ces moments il n’y a que soi et le sommet, le reste du monde n’existe plus.
Lentement, nous atteignons 6900 mètres. Nous nous perdons dans les cieux. J’ai pris les devants, je ne sais trop comment. Au fond de moi je dois sentir que l’objectif est proche, et je suis pressé d’en finir. Je surmonte une petite banquette de rocher par la gauche. Je lève les yeux et là, plus rien, il n’y a que les nuages. Plusieurs personnes se tiennent sur une large plate-forme. Une petite croix est ornée de divers drapeaux et autres colifichets. Oui, je suis au sommet de l'Aconcagua !

Je me retourne pour faire signe à Henri, arrêté quelques mètres en contrebas. Je n’ai pas la force de crier. Je lève les bras pour lui faire comprendre que "ça y est". Il me rejoint. Difficile de dire ce que l’on ressent à ce moment-là. Nous sommes tous les deux dans un état d’ivresse et d’épuisement tel que nous sommes incapables de manifester notre joie. En vérité nous sommes réduits à des êtres primitifs. Je n’ai aucun souvenir des quelques minutes passées au sommet de l’Aconcagua. Mon seul éclair de lucidité fut de tendre mon appareil à quelqu’un pour qu’il puisse nous photographier. Ensuite, c’est le trou noir. Avons-nous discuté ? Combien de temps sommes-nous restés en haut ? 5, 10, 30 minutes ?... Impossible à dire. Les nuages nous entourent. Pas de panorama malheureusement. Nous ne nous sentons pas bien. Nous sommes dans un état second, notre corps ne nous appartient plus. L’instinct de survie nous pousse : il faut descendre, oui, descendre le plus vite possible.
Au sommet de l'Aconcagua (6962 m)
Nous dévalons la Canaleta. En bas je récupère mon sac, et nous filons à grandes enjambées dans le versant nord-ouest. A 6600 mètres l’un de mes crampons me lâche. C’est à grande peine, avec la fatigue et mes doigts pétrifiés, que je parviens à le refixer sur mes coques plastiques. Le temps d’effectuer cette opération, Henri a filé. Il galope plus bas et a déjà atteint la ligne de crête. Je l'aperçois qui plonge vers Independencia. J’essaie alors de forcer l’allure pour ne pas le perdre de vue. Mais à plusieurs reprises mon crampon se détache dans la descente. Il me faut à chaque fois le remettre car le chemin est verglacé par endroits et je risquerais de glisser. Je perds ainsi un temps fou.

Un vent violent balaie la face, à tel point que je me retrouve souvent projeté au sol. S’en suit à chaque fois un combat pour me remettre debout. Mon équilibre est précaire. Je suis véritablement dans un état d’épuisement avancé. Il est grand temps que la journée se termine, mais j’ai conscience que le danger est désormais derrière moi et que je ne risque plus rien. Le sentier est bon et il va me conduire tout droit au campement.

Il est 19h lorsque j’en finis avec ma descente. Henri est là. Il est descendu par une variante dans le versant nord-ouest. Lui aussi est épuisé par ces 15 heures de course. La soirée tourne court, l’appel du duvet étant trop forte.
Jour 9 : Descente au camp de base
Un vent violent a soufflé toute la nuit, arrachant à plusieurs reprises les lourds cailloux que nous avions placés pour consolider notre tente. Henri a eu le courage, en pleine nuit, de sortir dans la tourmente pour réinstaller nos fortifications. Au matin le vent hurle toujours. La "sentinelle de pierre" semble ne plus vouloir nous lâcher. Il nous faut attendre. En début d’après-midi les éléments s’apaisent enfin. C’est le moment ! Nous plions nos affaires et entamons la descente. Nous commençons tout juste à réaliser que nous avons "vaincu" l’Aconcagua, que le combat est fini et que la victoire est dans la poche. Heureux, nous filons vers Plaza de Mulas en déboulant tout droit dans la grande pente d’éboulis. Les choses vont vite. Une fois en bas nous faisons le choix, plutôt que de réinstaller notre tente, de nous offrir une nuit au refuge. Celui-ci est hors de prix mais nous avons envie de retrouver un certain confort : une douche, un vrai repas, un lit.
Jour 10 : Retour à la civilisation
Depuis le refuge un sentier de mules permet de descendre directement au fond de la vallée de Horcones. Après une traversée de torrent pour le moins acrobatique, nous rejoignons l’itinéraire classique. Commence alors un long, trop long retour vers Horcones, à travers un océan de roches et de poussière. Nous marchons pourtant à grande allure, mais cela nous paraît une éternité. De longues heures plus tard, nous voilà de retour à Horcones, là où tout a commencé. Nous signifions aux gardes notre sortie du Parque Aconcagua, et attendons la navette qui va nous ramener vers la civilisation. Quel grand bonheur que d’achever là notre première expédition, victorieuse qui plus est !
Retour dans la vallée de Horcones
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