Le Grand Combin, situé dans le canton du Valais, est une montagne des Alpes suisses qui culmine à 4314 mètres, et qui constitue le plus grand sommet de la chaîne frontière qui relie les hautes cimes du Valais et le massif du Mont-Blanc. Ce sommet trône dans un splendide isolement, entre le val de Bagnes et le val d'Entremont, soutenu par toute une série de pics plus modestes. Bien éloigné des autres "4000" valaisans, il s'agit d'un massif montagneux à part, abritant de vastes glaciers, notamment dans son versant nord où descend l'immense glacier de Corbassière. Ses similitudes avec certains passages historiques du Mont Blanc lui ont fait emprunter certaines dénominations (Le Corridor, le Mur de la Côte).
Le Grand Combin est vraiment caractéristique d'un sommet alpin. L'approche des refuges est longue et passe par des vallées isolées. Les dénivelés sont considérables. L'ascension de la voie normale est facile sur le plan technique, mais l'itinéraire est très exposé à la menace de séracs. Il est donc conseillé d'emprunter d'autres voies, plus exigeantes techniquement mais comportant moins de dangers objectifs.
La montagne est constituée de trois pics principaux : le Grand Combin de Grafeneire (4314 m) au centre, qui est épaulé par le Combin de Valsorey (4184 m) à l'ouest, et par le Combin de la Tsessette (4141 m) à l'est. La liaison entre ces sommets est rapide et permet donc d'effectuer une jolie traversée. La première ascension du point culminant eut lieu en 1859, par C. Sainte Claire de Ville, Daniel, Emanuel et Gaspard Balleys, B. Dorsaz.
La carapace glaciaire du Grand Combin
Il existe plusieurs itinéraires élégants pour réaliser l'ascension du Grand Combin, chacun d'eux comportant des risques et devant être abordé avec une solide expérience de l'alpinisme et de la haute montagne en général. La grande majorité des candidats effectuent l'approche par le versant nord, via les vallées suisses de Bagnes (refuge de Panossière) et d'Entremont (refuge de Valsorey).
La voie normale, ou "Corridor". Au départ de Fionnay on monte au refuge de Panossière (ou "cabane" de Panossière, puisque c'est ainsi qu'on nomme les refuges en Suisse). Ensuite on remonte le glacier de Corbassière sur des kilomètres, puis on s'engage dans le Corridor, une rampe glaciaire très exposée aux chutes de séracs, dans laquelle on reste menacé plus d'une heure. Un itinéraire techniquement facile, mais réservé à ceux qui aiment vivre dangereusement...
Le couloir du Gardien est l'alternative la plus abordable. Il constitue le seul point faible de la barre de séracs du versant nord. On peut y accéder soit depuis Panossière, soit depuis Valsorey et le col du Meitin. Cet itinéraire est raide, exposé, et nécessite une bonne technique de cramponnage (glace à 50°). On débouche sur le plateau glaciaire à 4000 mètres, et il ne reste plus qu'à cueillir les sommets !
La voie la plus sûre pour atteindre le Grand Combin est sans doute l'arête du Meitin. Bien plus exigeante techniquement (AD+), cette arête a l'avantage de ne pas présenter de risques objectifs. On y accède par Valsorey et le col du Meitin, là où débutent les difficultés. L'arête, composée de trois ressauts verticaux, sort au sommet du Combin de Valsorey, depuis lequel on rejoint le point culminant très facilement.
Panorama vers les hautes cimes du Valais
Val d'Entremont, en milieu d'après-midi. Je gare mon véhicule à Bourg Saint-Pierre, un village suisse situé à 1650 mètres d'altitude, à quelques encablures du col du Grand Saint-Bernard. Ce jour-là j'ai déjà à mon actif une ascension, celle du Grand Mont Ruan, gravi le matin-même depuis le barrage d'Emosson. Autant dire que les jambes sont lourdes, avant même d'avoir débuté cette course majeure qu'est l'ascension du Grand Combin.
Par un chemin d'exploitation je m'engage à gauche dans la vallée de Valsorey. A cette heure je croise beaucoup de promeneurs qui ont profité d'un soleil radieux pour se balader dans les prairies. En période hivernale ce secteur est peuplé par les skieurs de randonnée, notamment ceux réalisant la Haute Route Chamonix-Zermatt, célèbre raid à skis. Je m'élève en pente douce jusqu'à un chalet d'alpage. Le sentier suit le cours du torrent puis il se sépare : je continue dans le fond de vallée, laissant à droite la bifurcation menant au refuge du Vélan, bien visible depuis le bas avec son architecture si originale. J'atteins peu de temps après le chalet d'Amont, à 2200 mètres. Un replat idyllique, idéal pour faire une halte. Plus loin le creux de vallée est défendu par une barre rocheuse. Deux options s'offrent alors : la solution directe qui grimpe dans les rochers par une escalade facile et aménagée, ou l'itinéraire facile qui contourne l'obstacle par la rive droite. Je choisis la deuxième option. Le chemin traverse des flancs herbeux. A 2500 mètres me voilà dans le cirque final : à gauche les hauts contreforts du Combin de Valsorey, à droite le Mont Vélan. Entre ces deux cimes majeures se trouvent la Grande Tête de By (3587 m), moins gravie.
Montée dans le vallon de Valsorey
Je commence à être épuisé. Je paie vraisemblablement mes efforts du matin. Mon lourd matériel de bivouac n'est pas là pour arranger les choses. A vrai dire cela fait 3 heures que je progresse en serrant les dents. J'aperçois désormais sur un éperon la cabane de Valsorey, l'objectif que je m'étais fixé pour aujourd'hui, mais il reste encore 500 mètres de dénivelé ! La journée touche à sa fin, et je suis exténué, lessivé, harassé, bref... à bout ! J'emploie tout de même mes dernières forces pour gagner encore un peu d'altitude, en me disant que ce sera toujours ça de moins à gravir demain. Vers 2900 mètres je m'installe sur un petit replat herbeux, cent mètres en contrebas du refuge.
La vue est très limitée. Elle se résume au versant nord du Mont Vélan (3731 m), qui me fait face. Mais ce versant est de toute beauté car ils s'y s'écoulent deux magnifiques glaciers : Tseudet et Valsorey. Au fur et à mesure que le jour décline, les couleurs changent, l'ambiance aussi. C'est sur cette vision magique que, la fatigue aidant, je ne tarde pas à m'endormir profondément.
Le soleil effleure le Mont Vélan
4h. Il fait encore nuit noire. Une très longue journée m'attend, alors mieux vaut se mettre en marche le plus tôt possible. Je m'extirpe de mon duvet, mange un morceau, boucle mon sac, et rallie en pleine obscurité le refuge de Valsorey où bizarrement il n'y a pas signe de vie.
A la frontale je remonte une zone de blocs, traverse le petit glacier du Meitin, et poursuis vers le nord-est en direction de la base rocheuse du Combin de Valsorey. La pente se redresse violemment. Vers 3500 mètres j'appuie vers la gauche et vise le col du Meitin. Dans mon dos le panorama s'est ouvert, le soleil s'est levé, et je suis aux premières loges. Au premier plan les rayons matinaux caressent les douces pentes glaciaires du Mont Vélan. Plus loin l'horizon flamboie car il est découpé par les cimes mythiques du massif du Mont Blanc. C'est magnifique ! Voilà une vue qui réchauffe le coeur, suffisamment pour me faire oublier une mise en route difficile, et une progression peu aisée dans un terrain raide et instable.
Par des rochers faciles j'accède au col du Meitin, à 3611 mètres, une dépression peu prononcée sur l'arête ouest du Combin de Valsorey. Je découvre de l'autre côté le plateau des Maisons Blanches, qui constitue le bassin supérieur du glacier de Corbassière. A partir du col je redescends plein nord, sur quelques mètres seulement. Puis je pars en traversée le long de la grande face nord-ouest. L'un de mes bâtons, qui m'accompagnait fidèlement depuis des années, profite lâchement d'une pause photo pour m'échapper des mains. Je ne peux qu'assister impuissant à sa dégringolade dans la pente de glace. Il finit sa course au fond d'une crevasse. Il va me falloir prendre garde, pour ne pas suivre la même destinée...
Je progresse en travers, en allant le plus vite possible, car loin au-dessus de ma tête se dresse une grande barre de séracs qui ne demande qu'à s'écrouler. Je n'ose imaginer les dégâts que pourraient causer des blocs de glace de plusieurs tonnes, déferlant sur 400 mètres d'une pente de glace à 50°, sur ma frêle carcasse de chair et d'os. Quelques minutes d'exposition, de craintes. Dans ces moments-là on pense au pire, forcément, et qu'on soit croyant ou non, on adresse une prière au dieu de la montagne, si tant est qu'il existe. Au niveau de ce qu'on appelle le Plateau du Déjeuner, le danger disparaît totalement, ou presque. On se trouve alors sur une échine neigeuse suffisamment marquée, de sorte que lors d'une chute de séracs les blocs basculeraient d'un côté ou de l'autre. L'alpiniste n'est alors plus dans la trajectoire. Je monte en ligne droite sur la neige raide, en direction du couloir du Gardien, dont l'attaque est facilement décelable car il s'agit du seul point faible. J'atteins à 3950 mètres l'entrée du défilé, et je me faufile au mieux entre les murailles de glace. Le passage est étroit, en glace dure. Heureusement les crampons mordent très bien.
L'obstacle est surmonté et je débouche à 4000 mètres sur le plateau glaciaire supérieur. Les difficultés sont terminées, et il ne me reste plus qu'à cueillir les trois Combins, l'un après l'autre. Enfin les sommets du jour sont en vue : le Combin de Grafeneire, sommet principal, à la forme plutôt évasée (trompeur sous cet angle), et le Combin de Valsorey, qui est une pyramide de neige aux formes élégantes. Personne en vue dans le secteur, la montagne est à moi. Surprenante solitude compte tenu de la notoriété du Grand Combin, de la période (la mi-juillet est plutôt synonyme d'affluence sur les grandes courses de neige), et des conditions climatiques excellentes. Il y a tout de même une vieille trace dans la neige. Je la suis pour aboutir à une large selle puis, peu de temps après, au sommet du Combin de Valsorey (4184 m).
Une croix en bois marque la cime, avec en toile de fond les massifs du Mont-Blanc et du Gran Paradiso. Jolie vue également sur le point culminant, le Grand Combin de Grafeneire, qu'il me tarde de gravir. Quelques minutes devraient suffire. Je reviens à la selle neigeuse et poursuis sur ma lancée. La montée est rapidement avalée, il faut dire que la perspective du sommet donne souvent des ailes. J'approche de l'émetteur érigé quelques mètres en contrebas de la cime. La hideur de ce relais télé n'a d'égale que la splendeur du panorama qui, quelques secondes plus tard, s'offrent à mes yeux éblouis lorsque j'atteins le sommet du Grand Combin !
Au Combin de Valsorey
Quel délice d'atteindre en solitaire la cime d'une montagne aussi prestigieuse, surtout après tant efforts ! Depuis les 4314 mètres du sommet on a une incroyable sensation de domination. On surclasse véritablement les sommets alentours. Plus loin à l'est, les hautes cimes du Valais rivalisent de magnificence. Le Cervin, la Dent Blanche, le Weisshorn... sont là pour me rappeler que, si j'ai vaincu un "grand" des Alpes aujourd'hui, il m'en reste encore bien d'autres ! L'aventure est loin d'être finie. En bon collectionneur de "4000" que je suis, j'ai à cœur d'aller au bout de mon projet et de gravir dans la foulée le Combin de la Tsessette. La liaison entre les deux sommets est plus délicate : il faut dans un premier temps parcourir une fine arête de neige, très esthétique, surtout au niveau de l'Aiguille du Croissant. D'énormes corniches surplombent le versant sud. Après être descendu d'une centaine de mètres, je quitte l'arête vers la droite pour m'engager dans le passage délicat du Mur de la Côte. Il me faut traverser sur quelques mètres une pente inclinée à 60°, dans une neige ramollie qui ne tient pas. Tranquillement, avec assurance, je passe en travers et redescends sur la selle neigeuse. C'est à ce col qu'aboutit la voie du Corridor. De là, un immense champ de neige me conduit tout en douceur au sommet du Combin de la Tsessette (4141 m). Et de trois !
Une très bonne chose de faite. Reste à revenir vers la voiture. Je ne peux pas la voir d'ici, mais je sais qu'elle est garée à plusieurs années-lumière ! Il est déjà tard (14h), donc je ne veux surtout pas m'attarder sur ce terrain truffé d'embûches. Le calvaire du retour peut commencer...
Sur le fil des Combins
Un retour qui va s'avérer encore plus épique que l'aller. Le soleil tape dur, du coup la neige s'est transformée. La remontée du Mur de la Côte donne le ton : c'est dans une soupe infâme que je parviens à revenir sur le plateau glaciaire supérieur, grâce à une gestuelle qui n'a plus grand chose à voir avec de l'alpinisme, mais qui se rapproche plutôt de la brasse coulée... Ensuite, retour vers le couloir du Gardien, en passant à l'instinct au milieu des crevasses, pas clairement visibles, mais que je devine en analysant les variations de pentes.
La descente du couloir de glace est, comme prévu, beaucoup plus délicate que la montée. Je descends très lentement en marche arrière, centimètre par centimètre pour ne pas faire d'erreur dans mon cramponnage. Mais malgré toutes ces sages précautions je sens à un moment le sol se dérober sous mes pieds. Je pars dans une glissade, que je stoppe net dès le début grâce à un violent coup de piolet (il me faudra dix minutes pour réussir à extirper mon précieux engin, complètement ancré dans la glace !). Un peu plus bas je constate que mon bon réflexe m'a évité un vol plané de quinze mètres par-dessus la barre de séracs...
Au vu de l'horaire avancé je décide de redescendre versant nord jusqu'à 3400 mètres, pour prendre pied sur le bassin glaciaire des Maisons Blanches. Une descente pénible, au milieu des résidus d'avalanches, où la portance de la neige est vraiment inégale. Mais de cette manière je reste à distance respectable des lignes de chute de séracs, la stabilité de ces derniers diminuant au fil de la journée. Cette sécurité a un prix, que je suis prêt à payer : il me faut du coup remonter laborieusement plus de 200 mètres de dénivelé pour franchir le col du Meitin et repasser sur le versant de Valsorey. La descente dans la vallée, des heures durant, prend des allures de supplice lorsque l'orage arrive. Des trombes d'eau s'abattent sur le val d'Entremont. Je suis trop fatigué pour sortir mon poncho, placé tout au fond du sac. Tant pis, je finirai sous la pluie.
21h. Exténué, trempé jusqu'aux os, j'entre comme un zombie dans Bourg Saint-Pierre, mettant un terme à ce voyage au bout de la solitude. Ce fut de loin la plus longue course de ma vie (4 heures de marche le premier jour, 17 heures le deuxième !). Ce fut également la plus aboutie et la plus engagée. Avec du recul je considère même que cette aventure fut à la limite du raisonnable, pour un petit bipède seul et vulnérable, face à cette immense montagne. Mais assez parlé, maintenant je dois retourner vers Montpellier, à 7 heures de route ! Et demain à la première heure il faut aller travailler ! Qui oserait dire que ce n'est pas la marque d'un passionné ?
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