Le Stampede Trail permet d'aller découvrir le célèbre "Magic Bus" dans lequel Christopher McCandless a vécu durant plusieurs mois, d'avril à août 1992. Le parcours de ce jeune homme est très bien relaté dans le best-seller "Into the Wild" de Jon Krakauer, ainsi que dans le remarquable film de Sean Penn réalisé en 2007.
Ce bus délabré est devenu lieu de pèlerinage. On vient de l'autre bout du monde pour le visiter. Toutefois il n'est vraiment pas aisé de s'y rendre. Il faut pour cela effectuer une longue marche de 40 kilomètres dans la toundra, au nord du massif du Denali. Il y a bien un sentier, mais pas la moindre indication. Il est donc facile de s'égarer dans les grands espaces de l'Alaska. A mi-parcours se trouve un obstacle de taille : la Teklanika River. La traversée de cette rivière comporte des risques (McCandless l'avait vite compris !), car le courant y est très puissant. En pleine période estivale la rivière est trop gonflée et ne permet aucune traversée.
Le bus a été quelque peu saccagé par les visiteurs et c'est bien dommage. Malgré tout le lieu reste habité par le personnage de McCandless. Il s'en dégage beaucoup d'émotions et lorsqu'on explore l'intérieur, on a le sentiment que ce bus abandonné a vraiment une âme.
Cela ne fait que deux jours que nous sommes redescendus des pentes glacées du McKinley. Nos organismes sont éprouvés, et pourtant, nous souhaitons mettre à profit les quelques jours qu'il nous reste à passer en Alaska. Henri, qui a souffert de gelures dans la descente, préfère ne pas mettre à nouveau sa santé en danger. En effet une seconde virée dans le monde sauvage pourrait lui entraîner de graves problèmes infectieux. Il repart donc vers Anchorage, pour y passer quelques jours tranquilles. Quant à moi je file plus au nord, en direction de Fairbanks, seconde plus grande ville de l'Etat. A mi-chemin de la George Parks Highway, l'axe routier majeur d'Alaska, se trouve la ville de Healy. C'est une petite bourgade d'un millier d'âmes, fondée en 1904 à l'emplacement de la seule mine de charbon d'Alaska, et qui a évolué de ville minière qu'elle était à l'origine vers une ville tournée vers le tourisme dû à sa proximité avec la réserve de Denali. A environ 5 kilomètres au nord de Healy, je demande au chauffeur du bus de s'arrêter. Il me dépose à un croisement, au départ de la Stampede Road, près d'une chapelle. C'est ici que débute mon aventure...
Il est 14h lorsque je me lance sur la route bitumée. Je parcours dans un premier temps de grandes lignes droites, bordées de forêt, sur une distance de deux kilomètres environ. Puis j'entends ronronner un véhicule dans mon dos. Sûrement une des rares personnes vivant plus loin sur cette route. C'est une occasion à ne pas rater ! Je fais de l'auto-stop (pour la première fois de ma vie) et le véhicule s'arrête à ma hauteur. A l'intérieur, deux jeunes fermiers qui rentrent chez eux, au bout de la route. Quel coup de chance !
Progression dans un décor de toundra
Vidéo : la découverte du "Magic Bus"
Je monte à l'arrière de leur pick-up, puis à la place du passager lorsque l'un d'eux en descend. Je discute alors avec le conducteur, fermier du coin en été, et barman à Anchorage en hiver, lorsque ses terres sont couvertes de neige. Il saisit vite que j'ai pour objectif le "Magic Bus". Je ne dois pas être le premier qu'il voit passer dans ce coin reculé du globe. Selon lui, la traversée de la rivière ne sera pas de tout repos à cette époque de l'année. On verra bien... Après avoir dépassé quelques habitations, le goudron laisse place à une piste carrossable. Le fermier me conduit finalement au bout de la Stampede Road. Il y a là une petite baraque dans laquelle il vit, pas très loin de Eight Mile Lake, à 12 kilomètres de la route principale. Nous nous saluons, puis je prends la direction de l'ouest.
La route n'en est plus une. Je marche désormais sur une piste en très mauvais état. Cette piste Stampede était utilisée par un mineur du nom de Earl Pilgrim dans les années 1930. Elle lui permettait d'avoir accès à des zones riches en minerai, au-dessus de la branche Clearwater de la rivière Toklat. En 1961, la compagnie Yutan Construction a remporté un contrat pour améliorer la piste afin que les camions puissent transporter le minerai durant toute l'année jusqu'au chemin de fer. Le projet a finalement été interrompu en 1963, et aucun pont n'a été construit sur l'itinéraire. La piste a depuis été utilisée par nombre de voyageurs à pied, à vélo, ou à moto.
Le chemin s'infléchit légèrement vers le nord. Je fais une rencontre inattendue : celle d'un campeur, installé à la lisière d'un bois depuis plusieurs jours. Il me signale qu'un peu plus loin le parcours est envahi par le lit du torrent. Je m'en rends compte très vite. La piste est en effet inondée. Après de laborieux contournements dans la végétation, je comprends que je ne peux plus progresser de la sorte. J'avance trop lentement. Il me faut aller plus vite, même les pieds trempés. Me voilà donc avec de l'eau glacée jusqu'aux genoux. J'entre alors dans de grands espaces de toundra. Le tracé se perd un peu dans une zone de tourbière, puis gagne les contreforts boisés de l'Outer Range, une petite chaîne de montagne située au nord. Côté sud se trouvent les Wyoming Hills et, au-delà, les hauts sommets enneigés de l'Alaska Range dominés par le Mont McKinley.
Je croise deux personnes en quad, puis c'est la solitude absolue. Je passe près d'un joli étang nivelé par des barrages de castors. Malheureusement, je n'aperçois pas les bâtisseurs de ces curieuses fortifications ! Après cela je traverse une grande étendue glacée. A cette saison, et à cette altitude (500 m), la persistance de ces névés témoigne des hivers rigoureux qui sévissent en ces lieux. Puis le chemin perd un peu d'altitude pour rejoindre les rives de la rivière Teklanika.
La rivière Teklanika
Il est 19h, déjà. Je suis alors à mi-parcours. Face à moi, le flot grisâtre de la Teklanika. Le seul véritable obstacle du Stampede Trail. La rivière est difficile à franchir car le courant est puissant. La corde fixe qui était d'une aide précieuse a semble t-il été enlevée. Il me faut donc choisir judicieusement l'endroit le plus propice à une traversée. Je repère une opportunité là où la rivière est la plus évasée et le niveau de l'eau, par conséquent, plus bas. Je garde à l'esprit que, malgré mes précautions, cela ne sera pas sans danger. L'été précédent une randonneuse suisse s'est noyée en tentant de traverser ces flots tourmentés. A l'été 1992, c'est d'ailleurs cette rivière gonflée par les eaux de fonte qui avait empêché McCandless de rentrer chez lui. Un contretemps qui avait indirectement conduit à son trépas.
Je me lance. Dès les premières secondes je suis saisi par la température de l'eau. Il faut dire qu'elle sort fraîchement des glaciers de l'Alaska Range. La Teklanika est large d'une cinquantaine de mètres. Cela semble long lorsqu'on lutte en permanence contre le courant, pour avancer mètre par mètre. Il me faut batailler car j'ai de l'eau jusqu'au nombril. Je sens les pierres qui roulent dans le lit de la rivière, et mes appuis qui commencent à glisser. Mes deux bâtons me sont alors grandement utiles. Ils me permettent de conserver un semblant d'équilibre. Après trois minutes d'un âpre combat contre les éléments je prends pied sur la rive occidentale. L'obstacle est franchi, mais non sans mal. Je suis trempé et frigorifié. Je décide de me remettre en marche au plus vite, afin de réchauffer mon corps.
Christopher McCandless - 1992
Laurent Dupont - 2011
Le sentier se poursuit en direction de l'ouest. Il n'y a pas la moindre indication et il n'est pas aisé de s'orienter, le tracé principal n'étant pas toujours clairement décelable. Le tout est d'être attentif aux traces de passage. De nouveau le sentier est régulièrement envahi par les torrents et je ne garde jamais longtemps les pieds au sec. Ensuite la trace s'élève doucement dans une forêt, puis atteint le haut d'une petite colline, à 720 mètres d'altitude. Depuis ce promontoire la vue est bien dégagée. Je prends quelques minutes pour admirer les étendues sauvages de l'Alaska. Au loin une énorme masse neigeuse domine l'horizon : c'est le Denali, évidemment.
Je souffre de crampes dans les cuisses. Une douleur terrible que je n'avais jamais ressenti auparavant. C'est sans doute l'eau glacée de la Teklanika qui a mis à mal mes muscles. Chaque pas devient un supplice. Mais je tiens bon, car je sens que je touche au but. La lecture de ma carte, aussi imprécise soit-elle, me le confirme. 23h : après un long périple dans la toundra, je débouche sur une petite clairière où je découvre subitement le "Magic Bus".
Un silence emplit l'air. Je reste figé quelques instants, comme pour mieux appréhender les lieux, comme pour mieux m'imprègner de l'atmosphère. Je m'avance enfin, et je commence par faire le tour du bus. A l'arrière du véhicule est placardé un long texte intitulé "The Law of the Yukon", difficilement déchiffrable. Puis je pénètre à l'intérieur de ce bus délabré. La plupart des vitres ont explosé. Quelques unes ont été colmatées maladroitement par du plastique. Sur les parois intérieures, rouillées, beaucoup de visiteurs ont gravé des messages, des noms, des dates... Sur le côté se trouve une boîte qui renferme divers objets : des ouvrages (dont le fameux "Into the Wild" de Jon Krakauer), une Bible laissée ici par les parents McCandless en 1993, une carte du massif du Denali, des bribes de papier... A cela s'ajoute un livre d'or, que je feuillette avec intérêt, dans lequel des gens du monde entier témoignent de l'admiration qu'ils ont pour Chris. "Thanks Chris for the inspiration" peut-on lire dans toutes les langues. Une preuve que ce bus délabré, perdu au bout du monde, est devenu un véritable lieu de pèlerinage pour tous les épris de liberté et les amoureux des grands espaces...
Le bus a été quelque peu saccagé par ces mêmes visiteurs et c'est bien dommage. Malgré tout l'endroit est poignant, il semble encore habité par le personnage de McCandless. Il s'en dégage beaucoup d'émotions et on a le sentiment que ce véhicule abandonné a vraiment une âme. Au fond du bus se trouve toujours le matelas miteux sur lequel des chasseurs d'élan ont retrouvé il y a 19 ans de cela le corps du malheureux, et sur lequel je compte passer la nuit. Une nuit qui promet d'être difficile. A cause de l'inconfort bien sûr, du froid, des moustiques... Mais surtout, comment trouver le sommeil dans un endroit si particulier ?
Après avoir mangé, je m'allonge à l'arrière du véhicule. Il est environ 1 heure du matin. A cette latitude, au bord du cercle arctique, le soleil se couche à peine. Dans quelques heures il fera à nouveau jour. Je parviens finalement à m'assoupir, la fatigue aidant.
Suivre les pas de McCandless, ce routard idéaliste et téméraire, c'est partager son rêve juvénile de vie alternative et sa vision de l'existence : le bonheur ne se trouve pas dans les relations humaines, il réside davantage dans le déplacement même, dans l'imprévu, l'éphémère, dans un rapport direct à la matière et aux éléments.
Le jour se lève vers 4 heures. Finalement il n'a pas fait nuit. Le soleil a bien disparu mais l'obscurité n'a jamais été totale. Je m'extirpe de mon duvet. J'ai encore les jambes douloureuses. Mes muscles sont comme paralysés. Je dois serrer les dents à chacun de mes déplacements. J'explore les environs, en particulier les deux bras de rivière qui se rejoignent un peu en contrebas. Je fais une petite séance photo pour immortaliser ces moments si particuliers pour moi. A l'aide du célèbre auto-portrait de McCandless assis devant le bus, que j'avais soigneusement placé dans l'une de mes poches à cet effet, je me mets en scène dans la même position.
Puis vient le moment des adieux. J'aurais aimé rester plus longtemps, pourquoi pas plusieurs jours, mais finalement je quitte ces lieux avec la satisfaction, en dormant seul dans ce "Magic Bus", d'avoir vécu l'expérience à fond. Débute alors le long calvaire du retour. Comme à l'aller, je n'ai pas l'occasion d'observer des animaux sauvages. Une rencontre avec un ours aurait été un grand moment, même si je n'aurais pas forcément su quelle attitude adopter face à lui. Je suis en revanche surpris de n'avoir pas vu d'élan, car ils sont paraît-il nombreux dans le secteur. Je traverse à nouveau la rivière Teklanika, plus facilement cette fois-ci car je passe 500 mètres plus au sud, là où elle se sépare en plusieurs bras.
Lors de ce long retour je souffre énormément. Mes pieds, mes genoux et mes cuisses me font un mal de chien. J'avance au courage pour revenir vers la civilisation. De retour à Eight Mile Lake, il me faut encore parcourir plusieurs kilomètres en direction des habitations. Je suis véritablement à bout, tant sur le plan physique que sur le plan mental. C'est avec un grand soulagement que j'entends un véhicule approcher. Un habitant du coin, très sympathique, me fait monter à bord et m'amène jusqu'à la Stampede Junction, là où j'avais débuté mon périple la veille.
escalade... Sur ce site internet dédié à nos aventures vous trouverez des récits complets, des photos, des vidéos et diverses informations concernant toutes les expéditions que nous avons réalisées à ce jour dans le monde entier. Bonne visite !
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